Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (Lien Legifrance, JO 24/10/2018)

Les principales dispositions
    La loi de 38 articles vise à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale à l'échelle nationale par trois voies : elle renforce les moyens d'investigation permettant de détecter la fraude (titre Ier) ; elle complète et aggrave l'arsenal des sanctions existant, notamment dans une logique plus large de publicité qui, par l'effet de réputation qu'elle induit, peut jouer un rôle de dissuasion fort (titre II) et enfin elle renforce la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale (titre III). Cette loi qui vise ceux se soustrayant sciemment à leurs obligations contributives est présentée par le gouvernement comme le complément de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance qui admet qu'à cause de la complexité du système de prélèvements fiscaux et sociaux, une erreur ou un oubli peut être commis de bonne foi et appelle l'administration à un traitement bienveillant.

Titre IER : RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE (art. 1er à 15)
    L'article 1er modifie l'article 28-2 du code de procédure pénale, relatif aux pouvoirs de police spéciale attribués aux agents des services fiscaux, pour permettre d'affecter des officiers fiscaux judiciaires au sein du ministère chargé du budget, complémentairement aux moyens dont dispose la police judiciaire du ministère de l'intérieur. Le but est ainsi de renforcer les outils de l'État pour détecter et déjouer les fraudes les plus complexes.

    L'article 3 permet de renforcer les moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels dits « permissifs », conçus pour permettre et dissimuler la fraude, à l'instar de ceux dont bénéficient déjà les agents de la direction générale des finances publiques (ajout de l'art. L. 65 quater dans le code des douanes). Ainsi, les personnes qui conçoivent ou éditent des logiciels de gestion ou de comptabilité ou des systèmes de caisse ou interviennent techniquement sur les fonctionnalités de ces produits affectant directement ou indirectement la tenue des écritures, la conservation ou l'intégrité des documents originaux nécessaires aux contrôles de l'administration des douanes sont tenues de présenter aux agents de cette administration, sur leur demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui s'y rattachent. Les agents des douanes pourront ainsi se faire communiquer par les éditeurs, concepteurs, distributeurs ou toute personne susceptible de manipuler les logiciels, le code source et la documentation des logiciels qu'ils proposent. L'article prévoit également un dispositif de sanctions spécifique aux infractions relevées dans ce cadre (ajout des articles 416 bis A et 416 bis B dans le code des douanes, modifications de l'article 1795 du CGI).

    L'article 6 étend le droit d'accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application des articles 1649 A et 1649 ter du code général des impôts (comptes de dépôt de valeurs mobilières, de titres et d'espèces, contrats d'assurance de capitalisation, notamment les contrats d'assurance-vie), aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu'aux informations mentionnées à l'article L. 107 B du LPF : agents des organismes sociaux, assistants spécialisés détachés ou mis à disposition par l'administration fiscale, agents de contrôle de l'inspection du travail, agents des douanes (ajout de plusieurs articles dans le CGI).

.    L'article 10 précise les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d'économies collaboratives (obligation d'information des utilisateurs depuis 2017, et de déclaration à l'administration des revenus réalisés par ces derniers à compter de 2019), afin d'assurer une meilleure intelligibilité de la loi pour les plateformes et une meilleure exploitabilité des données collectées par l'administration pour améliorer ses capacités de détection de la fraude (modification de l'art. 242 bis du CGI).

    L'article 11 prévoit à compter du 1er janvier 2020 que lorsqu'il existe des présomptions qu'un assujetti, quel que soit son lieu d'établissement, son domicile ou sa résidence habituelle, qui effectue ou fournit à destination ou au profit de personnes non assujetties, par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne, des livraisons de biens ou des prestations de service dont le lieu d'imposition est situé en France, se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, l'administration peut signaler cet assujetti à l'opérateur de la plateforme en ligne, afin que celui-ci puisse prendre les mesures de nature à permettre à cet assujetti de régulariser sa situation (insertion de l'art. 283 dans le code général des impôts et aussi de l'art. 293 A ter). 

    L'article 13 dispose que pour la recherche des abus de marché, les enquêteurs peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunication et par certains prestataires (insertion de l'art. L. 621-10-2 dans le code monétaire et financier). La communication des données fait l'objet d'une autorisation préalable par un contrôleur des demandes de données de connexion.

    L'article 14 prévoit qu'à compter du 1er janvier 2019, dans le but de constater les délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, les complices ainsi que ceux qui y ont participé comme intéressés au sens de l'article 399, des agents des douanes spécialement habilités peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques ainsi que par certains prestataires (insertion de l'art. 65 quinquies dans le code des douanes).

    L'article 15 modifie l'article L. 96 G du livre des procédures fiscales qui prévoit à compter du 1er janvier 2019 que pour les besoins de la recherche ou de la constatation des infractions mentionnées au c du 1 et au 5 de l'article 1728, aux articles 1729 et 1729-0 A, au 2 du IV et au IV bis de l'article 1736, au I de l'article 1737 et aux articles 1758 et 1766 du code général des impôts, des agents de l'administration des impôts spécialement habilités peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques ainsi que par certains prestataires.

Titre II : RENFORCEMENT DES SANCTIONS DE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE (art. 16 à 35)
    L'article 16 prévoit par défaut l'application de la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pour fraude fiscale, précédemment prononcées de manière facultative par le juge répressif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel empêche toutefois qu'elle devienne automatique.

    L'article 17 prévoit pour le délit prévu au 1 bis de l'article 459 du code des douanes (contravention aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par le droit de l'UE ou des accords internationaux) que la juridiction ordonne l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal (insertion de l'art. 433 bis dans le code pénal). Elle peut toutefois, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas ordonner l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. 

    L'article 18 institue une sanction administrative complémentaire des sanctions financières existantes, consistant à rendre publics les rappels d'impôts et les sanctions administratives pécuniaires dont ils ont été assortis, une fois devenus définitifs (insertion de l'art. 1729 A bis dans le CGI). La publication est effectuée sur le site Internet de l'administration fiscale pendant une durée qui ne peut excéder un an. Sont visées les fraudes les plus graves parmi celles n'ayant pas fait l'objet de poursuites pénales commises par les personnes morales, dès lors que ces fraudes portent atteinte non seulement au civisme fiscal mais aussi au bon fonctionnement de l'économie, en créant une distorsion de concurrence. Cette publication porte sur la nature et le montant des droits fraudés et des amendes et majorations appliquées, la dénomination du contribuable ainsi que, le cas échéant, l'activité professionnelle et le lieu d'exercice de cette activité. La décision de publication est prise par l'administration après avis conforme et motivé de la commission prévue au II de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales qui apprécie, au vu des manquements et des circonstances dans lesquels ils ont été commis, si la publication est justifiée. 

    L'article 19 crée une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales, applicable aux personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l'élaboration de montages frauduleux ou abusifs (insertion des art. 1740 A bis dans le CGI et L. 114-18-1 dans le code de la sécurité sociale). Elle vise à sanctionner les professionnels complices des manquements fiscaux et sociaux, qui portent une grave atteinte au principe d'équité entre les contribuables et cotisants, et aux règles de leur profession. Cette sanction serait assortie d'un recours juridictionnel effectif, garant des droits de la défense.

    L'article 21 rend pérenne la possibilité accordée à titre expérimental pour une durée de deux ans au gouvernement d' autoriser l'administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu'elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d'un manquement à certaines règles fiscales ou un manquement aux obligations déclaratives (l'article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017).

    L'article 22 prévoit que dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi propres à transposer la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration.

    L'article 23 aggrave la répression pénale des délits de fraude fiscale en prévoyant que le montant des amendes prévues à l'article 1741 du CGI peut être porté au double du produit tiré de l'infraction pour les personnes physiques et pour les personnes morales (art. 23).

    L'article 24 ouvre la faculté au procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en matière de fraude fiscale (modification de l'art. 495-16 du code de procédure pénale).

    L'article 26 renforce les sanctions douanières applicables en cas d'injures, de maltraitance ou encore de troubles à l'exercice des fonctions des agents des douanes, ainsi qu'en cas de refus de communication des documents demandés en portant le montant de l'amende encourue à 3 700 euros (modification de l'art. 413 bis du code des douanes). Le montant minimal de l'astreinte pécuniaire prononcée par l'autorité judiciaire en cas de refus de communication de documents, aujourd'hui plafonnée à 1,50 euro par jour est porté à 150 euros par jour.

    L'article 27 renforce la lutte contre le trafic de tabac en réputant détenir des tabacs manufacturés à des fins commerciales toute personne qui transporte dans un moyen de transport individuel ou collectif plus de : 1° Huit cents cigarettes ; 2° Quatre cents cigarillos, c'est-à-dire de cigares d'un poids maximal de trois grammes par pièce ; 3° Deux cents cigares, autres que les cigarillos ; 4° Un kilogramme de tabac à fumer (rétablissement de l'art. 575 I).

    L'article 28 renforce également la lutte contre le trafic de tabac en doublant le montant des sanctions pour fabrication, détention, vente et transport illicites de tabac qui pourront atteindre jusqu'à 5 000 euros (modifications de l'article 1791 ter du code général des impôts).

    L'article 29 impose aux fournisseurs d'accès à internet de prévoir un dispositif informant de l'illégalité et des risques encourus pour l'achat de tabac sur internet (modifications de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique).

    L'article 30 porte sur l'identifiant unique, imprimé ou apposé de façon inamovible et indélébile dont doit être revêtue les unités de conditionnement de produits du tabac fabriqués en France, importés d'un Etat non membre de l'Union européenne ou provenant d'un Etat membre de l'Union européenne ou destinés à l'exportation vers un Etat non membre de l'Union européenne ou un Etat membre de l'Union européenne ou placés sous un régime fiscal ou douanier tel que l'avitaillement ou les comptoirs de vente (modifications des art. L. 3512-23 et s du code de la santé publique).

    L'article 31 complète la liste française des États et territoires non coopératifs (ENTC) en matière fiscale afin qu'elle intègre celle adoptée par l'Union européenne en décembre 2017 (modifications de l'article 238-0 A du CGI). Ainsi, les transactions effectuées depuis ou vers les États et territoires non coopératifs inscrits sur la liste européenne seront également soumises à des mesures fiscales dissuasives ainsi que des obligations et contrôles renforcés, afin de renforcer les moyens de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

    L'article 34 décide que l'Agence française de développement et les sociétés ou établissements publics qui lui sont liés ne peuvent participer au financement d'un projet si l'actionnaire de contrôle est immatriculé dans un Etat ou territoire considéré comme non coopératif, sauf si cet actionnaire établit que son immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel dans l'Etat ou le territoire concerné ou lorsque le projet financé est réalisé dans l'Etat ou le territoire concerné.

Titre III : RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE POURSUITE PÉNALE DE LA FRAUDE FISCALE (art. 36 à 38)
    L'article 36 délie les agents des finances publiques du secret professionnel à l'égard du procureur de la République avec lequel ils peuvent échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l'existence d'une plainte ou d'une dénonciation déposée en application de l'article L. 228 ou d'une procédure judiciaire en cours (art. 36 insérant l'art. L. 142 A dans le livre des procédures fiscales).  

    Le même article réduit le "verrou de Bercy" en réécrivant l'article L. 228 du LPF : lorsque l'administration comme elle est tenue de le faire, dénonce au procureur de la République certains faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle, l'action publique pour l'application des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de l'administration.

    L'article 36 prévoit également que lorsque l'administration a déposé une plainte tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre ou dénoncé les faits au procureur de la République, l'action publique peut être exercée sans nouvelle plainte ou dénonciation en cas de découverte de faits de fraude fiscale concernant le même contribuable et portant sur d'autres impôts ou taxes ou sur une période différente (insertion de l'art. L. 228 C dans le CGI)..

Plan de la loi
Titre IER : RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE (art. 1er à 15)
Titre II : RENFORCEMENT DES SANCTIONS DE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE (art. 16 à 35)
Titre III : RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE POURSUITE PÉNALE DE LA FRAUDE FISCALE (art. 36 à 38)


Pas de saisine préalable du Conseil Constitutionnel

Rubriques :  fiscalité et finances publiques / sécurité sociale et action sociale

Voir aussi :
Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance - CE ass. gen. Avis 22 mars 2018 Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude n° 394440 - CC 27 septembre 2019 Association française des entreprises privées [Dénonciation obligatoire au procureur de la République de certains faits de fraude fiscale n° 2019-804 QPC


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