Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste (Lien Legifrance, JO 22/07/2016)
Les principales dispositions
La loi de 21 articles proroge l'état d'urgence de six mois en autorisant les perquisitions administratives et apporte diverses modifications et surtout ajouts à la loi du 3 avril 1955. Elle contient ainsi, d'une part, des dispositions relatives à l'état d'urgence (Titre Ier, art. 1er à 7) et, d'autre part, des dispositions relatives au renforcement de la lutte antiterroriste (Titre II, art. 8 à 21).
Titre Ier : DISPOSITIONS RELATIVES À L'ÉTAT D'URGENCE
L'article 1er proroge l'état d'urgence pour une durée de six mois, à compter de l'entrée en vigueur de la loi (soit le 23 juillet 2016) et emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, et donc autorise les perquisitions administratives. Le gouvernement peut avant l'expiration du délai de six mois mettre fin à l'état d'urgence par décret en conseil des ministres.
L'article 2 prévoit que les autorités administratives transmettent sans délai à l'Assemble nationale et au Sénat copie de tous les actes qu'elles prennent en application de la présente loi (modification de l'article 4-1 de la loi de 1955). Cela va donc au-delà de l'obligation d'information de ces institutions par le gouvernement qui a été posée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.
L'article 3 permet explicitement au ministre de l'intérieur et aux préfets d'interdire les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique dès lors que l'autorité administrative justifie ne pas être en mesure d'en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose (modification de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955). Par ailleurs, il spécifie dans les "lieux de toute nature" dont ces autorités peuvent ordonner la fermeture provisoire, les "lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes".
L'article 4 permet aux préfets d'autoriser, par décision motivée, à faire procéder à des contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public (ajout de l'article 8-1 dans la loi de 1955). La décision du préfet désigne les lieux concernés, qui doivent être précisément définis, ainsi que la durée de l'autorisation, qui ne peut excéder vingt-quatre heures.
L'article 5 complète et renforce le régime juridique des perquisitions administratives (modifications de l'article 11 de la loi de 1955). Il prévoit en effet la possibilité de saisir et d'exploiter les données contenues dans tout système informatique ou équipement de communication présent sur le lieu de la perquisition. Cette adaptation de la loi du 3 avril 1955 était rendue nécessaire à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 19 février dernier, qui avait censuré cette disposition faute de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée. La loi entoure ainsi de garanties les saisies : établissement d'un procès-verbal, subordination de l'exploitation des données et des supports saisis conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition à l'autorisation du juge administratif des référés se prononçant en 48 heures. En outre, si une perquisition permet de révéler l'existence d'un autre lieu fréquenté par la personne visée, un droit de suite permet de réaliser immédiatement une perquisition, incidente, dans cet autre lieu. Enfin, désormais, les personnes présentes sur le lieu d'une perquisition administrative peuvent légalement être retenues sur place par l'officier de police judiciaire pendant le temps strictement nécessaire au déroulement de la perquisition lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. La procédure de retenue dont la durée est limitée à quatre heures est entourée de garanties (informations de la personne retenue sur ses droits, établissement d'un procès-verbal).
L'article 6 inscrit dans la loi que la condition d'urgence est présumée satisfaite pour le recours juridictionnel en référé formé contre une mesure d'assignation à résidence.(ajout à l'article 14-1). Le Conseil d'Etat avait déjà jugé en ce sens (voir s'agissant du référé-liberté : CE sect. 11 décembre 2015 n° 395009).
L'article 7 est une disposition de coordination (modification de l'art. 15 de la loi de 1955).
Titre II : DISPOSITIONS RELATIVES AU RENFORCEMENT DE LA LUTTE ANTITERRORISTE
L'article 8 rend plus rigoureux le régime d'application des peines applicables aux personnes condamnées pour terrorisme : exclusion du bénéfice des crédits de réduction de peine, de la suspension et de fractionnement des peines, des placements à l'extérieur et de la semi-liberté (ajouts aux art. 720-1 et 723-1 du code de procédure pénale et insertion de l'art. 721-1-1 dans ce même code).
L'article 9 porte sur la mise en oeuvre par la direction de l'administration pénitentiaire des traitements de données à caractère personnel relatifs aux systèmes de vidéosurveillance de cellules de détention au sein des établissements pénitentiaires (ajout de l'art. 58-1 dans la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et de l'art. 716-1 A dans le code de procédure pénale). Il donne valeur législative à un dispositif notamment organisé par l'arrêté du 9 juin 2016 portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention. La loi indique aussi que ces traitements ont pour finalité le contrôle sous vidéosurveillance des cellules de détention dans lesquelles sont affectées les personnes placées sous main de justice, faisant l'objet d'une mesure d'isolement, dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public eu égard aux circonstances particulières à l'origine de leur incarcération et à l'impact de celles-ci sur l'opinion publique. Ces traitements garantissent la sécurité au sein de l'établissement en cas de risque d'évasion et celle de la personne placée dans l'éventualité d'un risque de passage à l'acte suicidaire. Ces traitements ne peuvent concerner que les cellules de détention hébergeant des personnes placées en détention provisoire, faisant l'objet d'un mandat de dépôt criminel. Ils ne peuvent être mis en œuvre qu'à titre exceptionnel.
L'article 10 allonge la durée du contrôle administratif (obligation de résidence et de présentation aux services de police ou gendarmerie) auquel le ministre de l'intérieur peut astreindre une personne de retour d'un théâtre d'opérations terroristes en permettant son renouvellement deux fois et le portant ainsi d'une durée d'un mois à une durée totale de trois mois (art. 10 complétant l'art. L. 225-2 du code de sécurité intérieure - CSI).
L'article 11 supprime la limitation à deux ans la durée globale de l'interdiction initiale de sortie du territoire des Français soupçonnés de vouloir se déplacer à l'étranger pour participer à des activités terroristes ou sur un théâtre d'opérations terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour (modification de l'art. L. 224-1 du CSI).
L'article 12 allonge à deux ans, voire trois ans, la durée de détention provisoire pour les mineurs mis en examen pour les délits et crimes constitués par les actes de terrorisme comme notamment ceux consistant en des atteintes à la vie, à l'intégrité de la personne, l'enlèvement, la séquestration et le détournement de moyens de transport (insertion de l'article 706-24-4 du code de procédure pénale).
L'article 13 alourdit considérablement (de 20 à 30 ans de réclusion criminelle) les peines de prison encourues pour la direction d'une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (modification de l'article 421-5 du code pénal) et la participation à un groupement terroriste préparant plusieurs crimes d'atteintes aux personnes, la direction d'un tel groupement étant punie de la réclusion criminelle à perpétuité (modifications de l'article 421-6 du code pénal).
L'article 14 prévoit qu'une peine d'interdiction du territoire français pour les étrangers condamnés pour terrorisme (définitive ou de dix ans) est en principe prononcée mais que la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas la prononcer, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur (modification de l'art. 422-4 du code pénal).
L'article 15 facilite la mise en oeuvre des techniques de recueil en temps réel, sur les réseaux des opérateurs, des informations ou documents de connexion relatifs à une personne préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace (modification de l'art. L. 851-2 du CSI).
L'article 16 assouplit les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser l'armement d'une police municipale : suppression de l'exigence que la "nature de leurs interventions et les circonstances le justifient" (modification de l'art. L. 511-5 du CSI).
L'article 18 crée un troisième vivier d'alimentation de la réserve civile de la police nationale, constitué des anciens adjoints de sécurité (modification de l'article L. 411-7 du CSI). Les deux autres viviers sont les retraités des corps actifs de la police nationale et les volontaires.
L'article 19 a pour objet de permettre, pendant l'état d'urgence, de mobiliser, au-delà des 30 jours prévus par les lois applicables en temps ordinaire, les anciens militaires et gendarmes poursuivant leur carrière au sein des fonctions publiques, avec l'accord de leur employeur. Il prévoit que les durées maximales d'activité dans les réserves militaire, de sécurité civile, sanitaire ou de la police nationale prévues par le code de la défense et les statuts des trois fonctions publiques civiles (30 jours) sont prolongées de la durée totale de l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, sous réserve de l'accord de l'employeur.
L'article 20 prévoit que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) élabore un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes (ajout de l'article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).
L'article 21 porte notamment sur l'application de la loi dans des outre-mer.
Pas de saisine préalable du Conseil Constitutionnel
Rubrique : défense, police, sécurité civile
Commentaires
LE BOT Olivier, Prorogation de l'état d'urgence et mesures de lutte antiterroriste, AJDA, 2016, 17 octobre, pp. 1914-1924.
Voir aussi :
Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence - Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions - CE avis sect int. 18 juillet 2016 Avis sur un projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et modifiant certaines de ses dispositions n° 391834 - CC 19 février 2016 Ligue des droits de l'homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l'état d'urgence] n° 2016-536 QPC - (présomption d'urgence en cas de référé-liberté portant sur une mesure d'assignation à résidence dans le cadre de l'état d'urgence) CE sect. 11 décembre 2015 M. H X n° 395009