Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (JO 24/01/2006, p. 1129)
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Les principales dispositions
La loi de 32 articles après le contrôle de constitutionnalité modifie plusieurs codes et principalement le code de procédure pénale et plusieurs lois et notamment la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité et la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Elle se caractérise en particulier par un fort accroissement des pouvoirs de police administrative dont l'exercice n'exige pas l'intervention préalable du juge judiciaire. Ces pouvoirs sont attribués soit à des fonctionnaires soumis à une obligation d'obéissance renforcée (corps préfectoral, policiers et gendarmes) soit à des responsables politiques (ministre de l'intérieur, ministre de l'économie pour le gel d'avoirs financiers). Leur exercice est-il entouré de limitations et de garanties suffisantes pour écarter les risques d'erreurs et d'utilisations abusives, c'est-à-dire pour des finalités étrangères à celles assignés par la loi, à savoir essentiellement la lutte contre le terrorisme ? En tous cas, le Conseil constitutionnel a estimé que la conciliation entre la protection de l'ordre public et la défense des libertés publiques et personnelles n'était pas manifestement déséquilibrée.
Chap. I : Dispositions relatives à la vidéosurveillance (art. 1 et 2)Chap. II : Contrôle des déplacements et communication des données techniques relatives aux échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste (art. 3 à 6)
- possibilité d'installer des systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique, ou dans des lieux et établissements ouverts au public, avec pour finalité la prévention des actes de terrorisme (art. 1er modifiant la réglementation sur la vidéosurveillance, issue de l’article 10 de la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité). Des personnes morales de droit privé exposées à des risques d’actes de terrorisme sont autorisées à déployer des caméras aux abords immédiats de leurs bâtiments. Surtout, les autorisations d'installation de systèmes de vidéosurveillance, valables pendant cinq ans, peuvent prescrire que des agents des services de police et de gendarmerie nationales sont destinataires des images et enregistrements en dehors même de toute infraction.
- pouvoir accordé aux préfets et à Paris, au préfet de police, d'ordonner la vidéosurveillance de certains sites potentiellement soumis à un risque terroriste : aux exploitants d'installations d'importance vitale, aux gestionnaires d'infrastructures, aux autorités et personnes exploitant des transports collectifs, aux exploitants d'aéroport (art. 2).
Chap. III : Dispositions relatives aux traitements automatisés de données à caractère personnel (art. 7 à 10)
- extension de la zone dans laquelle des contrôles d’identité peuvent être effectués dans les trains transnationaux (art. 3, art. 78-2 du code de procédure pénale).
- dans divers cas les personnels de police sont autorisés à faire usage de matériels appropriés pour immobiliser les moyens de transport (art. 4, art. 25-1 inséré dans la loi du 21 janvier 1995).
- extension aux personnes qui, au titre d'une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l'intermédiaire d'un accès au réseau, y compris à titre gratuit, de l'obligation de respecter les dispositions applicables aux opérateurs de communications électroniques (art. 5, art. L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques). Les cybercafés et les bornes d’accès sans fil (WIFI) sont notamment visés par cette obligation de conserver les données de trafic.
- des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la prévention du terrorisme peuvent se faire communiquer par les opérateurs de communications électroniques des données dites de "trafic" (donc notamment celles de l'Internet) (art. 6, insertion d'un art. L. 34-1-1 du code des postes et des communications électroniques, modification de l'art.6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et de l'art. 4 de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques). En cas de surcoût pour les opérateurs, ceux-ci peuvent obtenir une compensation financière. Les réquisitions administratives sont effectuées sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Un décret en Conseil d'Etat doit préciser les conditions d'application de ces dispositions.
Chap. IV : Dispositions relatives à la répression du terrorisme et à l'exécution des peines (art. 11 à 19)
- autorisation accordée au ministre de l'intérieur de mettre en oeuvre des traitements automatisés de diverses données concernant les personnes à l'occasion de leurs déplacements extérieurs à l'Union européenne. Les données concernées sont en particulier celles contenues sur les cartes de débarquement et d'embarquement de passagers dans les aéroports et celles collectées à partir de la bande de lecture optique de divers documents (documents de voyage, carte nationale d'identité, visas). Ces traitements automatisés doivent notamment permettre la confrontation avec le ficher des personnes recherchées (FPR) (art. 7). Ces dispositions assurent la transposition d'une directive européenne obligeant les transporteurs à communiquer aux autorités publiques les données relatives aux passagers. Toutefois, à la finalité de la lutte contre l’immigration irrégulière, la loi ajoute la lutte contre le terrorisme.
- autorisation d'installer des dispositifs, fixes ou mobiles, de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, de conserver pendant huit jours les données recueillies et de les exploiter afin de prévenir et de faciliter la constatation des actes de terrorisme, des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée, des infractions de vol et de recel de véhicules volés, des infractions de contrebande, d'importation ou d'exportation commises en bande organisée (art. 8 modifiant l'art. 26 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure).
- possibilités accrues de consultation de certains fichiers administratifs du ministère de l’intérieur par les services de police spécialement chargés de prévenir les actions terroristes.(art. 9). Des agents des services de renseignement de la gendarmerie nationale peuvent également être habilités à procéder à ces consultations et un arrêté interministériel fixera la liste des services de renseignement autorisés à consulter lesdits traitements automatisés.
Chap. V : Dispositions relatives aux victimes d'actes de terrorisme (art. 20)
- forte aggravation de la répression des actes terroristes (art. 11, ajout d'un art. L. 421-6 au code pénal). Les peines encourues sont accrues de 10 ans. Les dirigeants ou organisateurs d'un groupement ayant un objectif terroriste risquent désormais trente ans de réclusion criminelle.
- possibilité d'anonymat pour les officiers et agents de police judiciaire, affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme (art. 12, art. 706-24 du code de procédure pénale). Ils peuvent être nominativement autorisés à procéder aux investigations relatives aux infractions de nature terroriste et à déposer ou à comparaître comme témoins en s'identifiant seulement par leur numéro d'immatriculation administrative..
- aménagement de la loi "informatique et libertés" : les demandes d'avis portant sur les traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique peuvent ne pas comporter tous les éléments d'information autrement exigés (art. 13, art. 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978).
- centralisation auprès des juridictions de l’application des peines de Paris du suivi de l'ensemble des personnes condamnées pour des actes de terrorisme (art. 14, art. 706-22-1 du code de procédure pénale).
- jugement des accusés d'actes de terrorisme, mineurs âgés de seize ans au moins, par la cour d'assises des mineurs ayant des règles de composition et de fonctionnement identiques à celles des juridictions jugeant les majeurs accusés des mêmes actes, deux des assesseurs étant pris parmi les juges des enfants (art. 15, art. 706-25 du code de procédure pénale).
- quelques modifications apportées à la reconnaissance des qualités d'officier de police judiciaire (OPJ) et d'agent de police judiciaire (exclusion des stagiaires) (art. 16, art. 16 du code de procédure pénale).
- possibilité pour le juge des libertés en cas d'imminence d’une action terroriste ou si les nécessités de la coopération.
internationale le requièrent impérativement, de prolonger une garde à vue, fondée sur une infraction concernant le terrorisme, au-delà de la durée maximale actuellement prévue (96 heures), pour une durée de 24 heures, renouvelable une fois (soit une durée totale de 144 heures, c'est-à-dire 6 jours) (art. 17, art. 706-88 du code de procédure pénale).- (censure par le Conseil constitutionnel de l'art. 19 relatif aux commissions administratives paritaires compétentes pour les corps de la police).
L'indemnisation est ouverte, quelle que soit leur nationalité, aux ayants droit des victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national et aux ayants droit des Français victimes d'actes terroristes à l'étranger (art. 20, art. L. 126-1 du code des assurances).
Chap. VI : Dispositions relatives à la déchéance de la nationalité française (art. 21)
Les délais permettant au ministre chargé des naturalisations d’engager la procédure de déchéance de la nationalité française et de la prononcer, à l’encontre de personnes ayant acquis cette nationalité par naturalisation, sont portés de 12 à 15 ans en cas de condamnation pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituant un acte de terrorisme (art. 21 modifiant l'article 25-1 du code civil).
Chap. VII : Dispositions relatives à l'audiovisuel (art. 22)
L'exigence de la signature d'une convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour les chaînes extracommunautaires diffusées par le satellite Eutelsat est supprimée afin de simplifier l'engagement de sanctions en cas de manquement (art. 22, art. 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication)
Chap. VIII : Dispositions relatives à la lutte contre le financement des activités terroristes (art. 23 et 24)Chap. IX : Dispositions relatives aux activités privées de sécurité et à la sûreté aéroportuaire (art. 25 et 26)
- autorisation accordée au ministre chargé de l'économie de prendre des mesures de gel ou d'interdiction de fonds appartenant à des personnes physiques ou morales compromises dans des actes de terrorisme et les organismes financiers sont obligés de s'y conformer (art. 23, art. L. 564-1 et suivants du code monétaire et financier).
- répression renforcée de l'impossibilité de justifier de ressources correspondant à un train de vie ou de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes ayant commis une infraction ou qui en sont les victimes (art. 24 de la loi, modification de l'article 321-6 du code pénal et insertion d'un article L. 321-6-1).
Chap. X : Dispositions relatives à l'outre-mer (art. 27 et 28)
- modification des conditions d'agrément à des personnes physiques exerçant des activités dans des sociétés privées de sécurité (art. 25 modifiant plusieurs articles de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds).
- obligation de posséder une habilitation pour accéder à des lieux de préparation et de stockage de certains produits dans les aéroports (art. 26 insérant les articles L. 213-5 et L. 321-8 dans le code de l'aviation civile).
Chap. XI : Dispositions finales (art. 29 à 33)
- précisions sur les conditions d'application aux collectivités d'outre-mer de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité (art. 27, art. 31 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995).
- conditions d'application de la présente loi aux collectivités d'outre-mer (art. 28).
Décision du Conseil Constitutionnel
- nouvelles dispositions de l'art. L. 126-1 du code des assurances ne se bornant pas comme les précédentes à interdire aux contrats d'assurance de biens d'exclure la garantie pour les dommages résultant d'actes de terrorisme ou d'attentats commis sur le territoire national, mais stipulant que les contrats d'assurance garantissant les dommages d'incendie à des biens ainsi que les dommages aux véhicules terrestres à moteur ouvrent droit à la garantie de l'assuré pour les dommages matériels directs causés aux biens assurés par un attentat ou un acte de terrorisme tel que défini par les articles 421-1 et 421-2 du code pénal subis sur le territoire national ( art. 29, art. L. 126-2 du code des assurances). Diverses précisions sont apportées quant aux conditions de prise en charge des destructions. Un nouvel article L. 126-3 oblige les compagnies d'assurance à insérer dans les contrats d'assurance une clause étendant leur garantie aux dommages résultant d'actes de terrorisme.
- les fonctionnaires civils du ministère de la défense sont une nouvelle catégorie d'agents dont la révélation de l'identité constitue une infraction (art. 30, art. 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881).
- possibilité pour les préfets d'interdire à des personnes de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où des manifestations sportives se déroulent ou sont retransmises en public lorsque ces personnes, par leur comportement d'ensemble à l'occasion de telles manifestations constituent une menace pour l'ordre public (art. 31, insertion d'un art. 42-12 dans la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives).
- limitation dans le temps, au 31 décembre 2008, de l'application des articles 3 (extension de la zone de contrôle d'identité aux frontières) , 6 (réquisition administrative des données de trafic des communications électroniques) et 9 (élargissement de la consultation des fichiers du ministère de l'intérieur) (art. 32). La CNIL a prôné une telle limitation. Bien entendu, elle n'exclut pas une éventuelle prolongation par une loi ultérieure.
- annonce d'un arrêté interministériel déterminant les services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de la prévention et de la répression des actes de terrorisme au sens de la loi (art. 33).
CC 19 janvier 2006 Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers
Rubriques : défense, police, sécurité civile / pénal et pénitentiaire
Commentaires
ROLIN F. et SLAMA S., Les libertés dans l'entonnoir de la législation anti-terroriste (comm. de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers), AJDA, 2006, 15 mai, pp. 975-982.
FOREST David, Vidéosurveillance et projet de loi anti-terroriste : un état des lieux, LPA, 2005, 21 oct., p. 4.
CHRESTIA P., La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme : premières observations, Dal., 2006, p. 1409.
GRIMAUD Ph. et YAZI-ROMAN M., Le nouveau régime d'agrément préfectoral des agents de sécurité (lois du 12 juillet 1983, du 18 mars 2003 et du 23 janvier 2006), JCP A, 2006, n° 1032.
Voir aussi :
Délibération de la CNIL n° 2005-208 du 10 octobre 2005 portant avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme - Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. - Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure - Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité - Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure