PROCÉDURE 1. A lorigine de laffaire se trouve une requête (n° 39594/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Marlène Kress (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de lHomme (« la Commission ») le 30 décembre 1997 en vertu de lancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. La requérante est représentée par Me André Schwab, avocat au barreau de Saverne. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. 3. Invoquant larticle 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaignait de la durée excessive dune procédure administrative lopposant aux Hospices Civils de Strasbourg. Elle se plaignait également, au regard de larticle 6 de la Convention, de ne pas avoir bénéficié dun procès équitable en raison, dune part, de limpossibilité dobtenir préalablement à laudience communication des conclusions du commissaire du Gouvernement et de pouvoir y répliquer à laudience et, dautre part, de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré. 4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date dentrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). 5. Elle a ensuite été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Par décision du 2 février 1999, la troisième section a décidé de communiquer la requête au gouvernement français pour observations écrites. 6. Le 29 février 2000, au vu des observations présentées
par les parties, la requête a été déclarée recevable par une chambre de ladite
section, composée des juges dont le nom suit : Sir Nicolas Bratza, président, 7. Le 23 mai 2000, en labsence dopposition des parties, la troisième section a confirmé sa décision de se dessaisir, conformément à larticle 72 § 2 du règlement. 8. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. 9. Le 18 avril 2000, lOrdre des Avocats à la Cour de cassation et au Conseil dEtat a présenté une demande de tierce intervention, en vertu de larticle 36 § 2 de la Convention et de larticle 61 du Règlement. Après y avoir été autorisé par le Président de la Cour, lOrdre des avocats a produit un mémoire en date du 3 juillet 2000. 10. Une audience sest déroulée en public au Palais des Droits de lHomme, à Strasbourg, le 11 octobre 2000 (article 59 § 2 du règlement). Ont comparu :
La Cour les a entendus en leurs déclarations. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE LESPÈCE 11. Le 8 avril 1986, la requérante, à lépoque âgée de 44 ans, subit une intervention chirurgicale gynécologique, sous anesthésie générale, aux Hospices Civils de Strasbourg. 12. A son réveil, elle fut victime dun syndrome neurologique. Dans les jours suivants, elle fut victime dun nouvel accident vasculaire ainsi que dune brûlure à lépaule causée par le renversement dune tasse de tisane. Depuis lors, elle est atteinte dune invalidité au taux de 90 % ; elle est hémiplégique, présente des troubles de la coordination des membres supérieurs, sexprime avec difficulté et souffre de diplopie. 13. Le 27 mai 1986, la requérante saisit le Président du tribunal administratif de Strasbourg dune demande en référé en désignation dexpert. Par ordonnance du 28 mai 1986, ce magistrat désigna un expert, qui déposa le 2 juin 1986 un rapport concluant à labsence derreur sur le plan médical. 14. Le 6 août 1987 (après rejet dune réclamation préalable du 22 juin 1987), la requérante introduisit une requête devant le tribunal administratif de Strasbourg afin de réclamer lindemnisation de son préjudice par les Hospices Civils de Strasbourg. 15. Par conclusions du 21 octobre 1987, la requérante demanda une expertise détaillée et approfondie, en critiquant les conclusions du rapport établi le 2 juin 1986. 16. Par lettres des 10 novembre 1988 et 11 janvier 1989, les avocats de la requérante demandèrent laudiencement de cette procédure. Il leur fut répondu par le greffier en chef du tribunal administratif (lettres des 18 novembre 1988 et 13 janvier 1989) « quen raison de lencombrement du rôle, il nest pas possible de prévoir actuellement la date à laquelle laffaire (...) pourra être appelée à laudience ». 17. Celle-ci fut finalement fixée au 19 avril 1990. 18. Par jugement prononcé le 25 mai 1990, le tribunal administratif de Strasbourg ordonna un supplément dinstruction afin de procéder à une expertise confiée à un collège de deux experts. 19. Ceux-ci déposèrent le 23 octobre 1990 les conclusions suivantes :
20. La requérante critiqua cette expertise et chiffra son préjudice par conclusions motivées du 22 mars 1991. 21. Laudience fixée au 4 avril 1991 fut, à la demande des Hospices Civils de Strasbourg, reportée au 13 juin 1991. 22. Par jugement prononcé le 5 septembre 1991, le tribunal administratif de Strasbourg fixa à 5 000 francs français le montant du préjudice de la requérante résultant de sa brûlure à lépaule mais rejeta la demande dindemnisation pour le surplus. 23. La requérante interjeta appel de ce jugement devant la cour administrative dappel de Nancy. Par arrêt du 8 avril 1993, cette juridiction le rejeta au motif que les circonstances de lhospitalisation navaient fait apparaître, quelle que soit la gravité des suites de lintervention chirurgicale, ni défaut dinformation sur sa nature et ses conséquences prévisibles, ni faute ou présomption de faute dans lorganisation ou le fonctionnement du service. 24. Le 11 juin 1993, la requérante, représentée par un avocat à la Cour de cassation et au Conseil dEtat, forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Conseil dEtat et déposa un mémoire ampliatif le 11 octobre 1993. Se référant à un arrêt dassemblée du Conseil dEtat du 9 avril 1993 intervenu entre-temps (arrêt Bianchi du 9 avril 1993, RFDA 1993, p. 574), qui avait consacré lextension de la responsabilité sans faute en matière hospitalière aux aléas thérapeutiques, elle souleva comme moyen unique de cassation le fait quen lespèce la responsabilité sans faute du centre hospitalier aurait dû être retenue. Elle considérait en effet quil y avait un lien de cause à effet entre lintervention et le dommage, que lexistence du risque était connue, même si sa réalisation était exceptionnelle, et quelle avait subi, au sens de larrêt Bianchi, un dommage spécial et dune extrême gravité. 25. Les Hospices Civils de Strasbourg déposèrent un mémoire en défense le 12 septembre 1994, auquel la requérante répliqua le 16 janvier 1995. Les Hospices Civils déposèrent encore un mémoire en duplique le 10 mars 1995. 26. Laffaire fut appelée à laudience publique du 18 juin 1997 devant les 5ème et 3ème sous-sections réunies et examinée sur le rapport de la 5ème sous-section. Après avoir entendu les observations du conseiller rapporteur, les observations des avocats des parties et, en dernier lieu, les conclusions du Commissaire du Gouvernement, le Conseil dEtat mit laffaire en délibéré. Lavocat de la requérante produisit alors encore une note en délibéré pour faire valoir que le Commissaire du Gouvernement avait à tort exprimé des doutes sur le caractère dextrême gravité des troubles dont était atteinte la requérante depuis lopération du 8 avril 1986. 27. Par arrêt prononcé le 30 juillet 1997, le Conseil dEtat rejeta le pourvoi de la requérante aux motifs que :
28. Lhistoire de la juridiction administrative française se confond, pour lessentiel, avec celle du Conseil dEtat. En 1790, lAssemblée constituante mit en pratique la théorie de la séparation des pouvoirs et fit en sorte que ladministration ne soit pas soumise à lautorité judiciaire. Elle garda de lAncien Régime le principe que la puissance publique devait être jugée par une juridiction particulière, en vertu de lidée selon laquelle « juger ladministration, cest aussi et encore administrer ». Cette juridiction fut créée par le Consulat en 1799 : ce fut le Conseil dÉtat, institué par larticle 52 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799). Il reçut une double mission, administrative (participer à la rédaction des textes les plus importants) et contentieuse (résoudre les litiges liés à ladministration). 29. En 1849, une loi lui confia la justice « déléguée », cest-à-dire quil jugea dès lors « au nom du peuple français ». La IIIème République donna au Conseil dEtat une structure que lon retrouve encore aujourdhui. Son rôle fut précisé par la loi du 24 mai 1872, qui revit les termes de la loi de 1849 et créa définitivement la justice déléguée. 30. La période de laprès-guerre fut essentiellement celle de lorganisation de la juridiction administrative. La Constitution de 1958, qui ne consacre que trois articles (les articles 64, 65 et 66) à lautorité judiciaire, notamment pour prévoir que les magistrats du siège (et non ceux du parquet) sont inamovibles, ne mentionne pas sous ce titre le Conseil dEtat ou les autres juridictions administratives. En 1953, les tribunaux administratifs succédèrent aux conseils de préfecture, qui existaient depuis 1799. La loi du 31 décembre 1987, entrée en vigueur en 1989, compléta lordre juridictionnel en créant les cours administratives dappel, auxquelles fut transféré lessentiel des compétences dappel. Juridiction suprême de lordre administratif, le Conseil dÉtat est devenu le juge de cassation de ces nouvelles cours et de différentes juridictions spécialisées, telle que la Cour des comptes.
31. Les magistrats de lordre administratif bénéficient dun statut particulier, distinct de celui des magistrats judiciaires du siège comme du parquet. Ils relèvent du statut général de la fonction publique ; toutefois, ils disposent en pratique de lindépendance et de linamovibilité (voir paragraphe 35 ci-dessous). En 1980, une décision du Conseil constitutionnel (CC, 22 juillet 1980, JO 24 juillet, p. 1868) consacra lexistence et lindépendance de la juridiction administrative, qui figurent parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ayant rang constitutionnel. 32. Le Conseil dÉtat comprend environ 300 membres dont les deux tiers sont en activité au sein du Conseil et un tiers à lextérieur. Il est présidé en droit par le premier ministre et, en fait, par le Vice-président du Conseil dEtat. En vertu de larticle 13, troisième alinéa, de la Constitution, relatif aux pouvoirs de nomination du président de la République, tous les conseillers dEtat sont nommés par décret du Président de la République pris en Conseil des Ministres, tandis que les auditeurs et maîtres des requêtes sont nommés par décret simple du Président, en vertu de larticle 2 de lordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique relative aux emplois civils et militaires.
33. Le recrutement des membres du Conseil dÉtat se fait de deux façons : soit par concours, soit par le tour extérieur. Les auditeurs, recrutés par concours à la sortie de lEcole Nationale dAdministration, deviennent, par avancement, maîtres des requêtes après environ trois ans de carrière, puis conseillers dÉtat environ douze ans plus tard. Les nominations au tour extérieur sont soumises à lavis du Vice-président du Conseil dÉtat.
34. Le statut des membres du Conseil dÉtat est moins défini par les textes que garanti par la pratique. Au titre des premiers, il faut mentionner le décret du 30 juillet 1963 qui porte statut des membres du Conseil dÉtat. Ce statut est très proche du droit commun de la fonction publique (et, notamment, aucune inamovibilité nest prévue), à plusieurs exceptions près : aucune notation nest prévue, aucun tableau davancement nest établi et une commission consultative remplace à la fois la commission administrative paritaire et le comité technique paritaire. 35. Cest finalement davantage de la pratique que viennent les garanties dont jouissent les membres du Conseil dÉtat. Trois usages sont à cet égard aussi anciens que décisifs : tout dabord, la gestion du Conseil dÉtat et de ses membres est assurée de façon interne, par le bureau du Conseil dÉtat, composé du Vice-président, des six présidents de section et du secrétaire général du Conseil dÉtat, sans interférences extérieures. En particulier, il ny a pas, au sein de la juridiction administrative, la distinction entre magistrats du siège et du parquet qui existe pour les juges de lordre judiciaire, où les membres du parquet sont soumis à lautorité hiérarchique du ministre de la Justice. Ensuite, même si les textes ne garantissent pas linamovibilité des membres du Conseil, en pratique, cette garantie existe. Enfin, si lavancement de grade se fait, en théorie, au choix, il obéit dans la pratique, et suivant un usage qui remonte à la moitié du XIXe siècle, strictement à lancienneté, ce qui assure aux membres du Conseil dÉtat une grande indépendance, tant à légard des autorités politiques quà légard des autorités du Conseil dÉtat elles-mêmes. 36. Au sein du Conseil dÉtat, la plupart des fonctions peuvent être exercées par tous les membres quel que soit leur grade. Ainsi, la fonction de commissaire du Gouvernement, si elle est généralement confiée à des maîtres des requêtes, peut également être assurée par des auditeurs ou des conseillers dÉtat. 37. La loi du 31 décembre 1987 a institué un Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives dappel, dont la composition assure lindépendance et la représentativité. Le Conseil a un rôle consultatif général pour les questions concernant le corps (mesures individuelles intéressant la carrière, lavancement, la discipline des magistrats).
38. La procédure administrative contentieuse sest construite pour lessentiel sous linfluence du juge administratif lui-même. Elle sefforce de réaliser un compromis entre lintérêt général incarné dans le procès par ladministration et les intérêts des particuliers qui doivent être protégés efficacement contre les abus de la puissance publique. Il sagit dune procédure inquisitoire, écrite et peu coûteuse, dont la spécificité réside dans lexistence dun justiciable public. 39. Le Conseil dÉtat est composé de cinq sections administratives (Intérieur, Finances, Travaux Publics, Sociale, Rapport et études) et dune section du contentieux, elle-même divisée en dix sous-sections.
40. Lorsque une affaire a été attribuée à une sous-section, le président de celle-ci désigne lun de ses membres comme rapporteur chargé den faire létude. Après un examen attentif des pièces du dossier, le rapporteur rédige un projet de décision. Ce projet est accompagné dune note qui a pour objet dexpliquer le raisonnement qui conduit de la requête au projet. Elle comprend un examen des questions de recevabilité (dont la compétence et lexamen doffice de lexistence dun vice dordre public) et doit expliquer la réponse apportée à chaque moyen soulevé dans la requête, par référence soit aux pièces du dossier, soit à des textes, soit à la jurisprudence. En annexe à cette note, le rapporteur fait figurer une copie des textes et de la jurisprudence sur lesquels il sest fondé pour rédiger le projet de décision. Le dossier passe ensuite entre les mains du réviseur, fonction assumée dans chaque sous-section par le président ou lun de ses deux assesseurs. Le réviseur réexamine les pièces du dossier et se fait une opinion sur la solution à apporter au litige. Il peut rédiger lui-même un autre projet de décision en cas de désaccord avec le rapporteur. Une fois le projet de décision révisé, laffaire est inscrite au rôle dune séance dinstruction de la sous-section, où le projet fera lobjet dune discussion collégiale, en présence du commissaire du Gouvernement, qui ne prend toutefois pas part au vote sur le projet. Ce nest quaprès adoption du projet de décision par la sous-section que le dossier est ensuite transmis au commissaire du Gouvernement pour lui permettre soit de préparer ses conclusions, soit de demander la convocation dune nouvelle séance dinstruction ou le renvoi de laffaire à une autre formation.
41. Linstitution du commissaire du Gouvernement date dune ordonnance du 12 mars 1831. A lorigine, comme son nom lindique, elle était conçue pour représenter le point de vue du Gouvernement mais, très rapidement, cette fonction disparut (au plus tard en 1852). Le titre est resté, mais il est trompeur. Linstitution est devenue depuis lors lune des originalités extérieurement les plus marquantes de la juridiction administrative française, notamment parce que le commissaire du Gouvernement sest rapidement affirmé comme un magistrat totalement indépendant des parties. Le commissaire du Gouvernement joue un rôle traditionnellement très important dans la formation de la jurisprudence administrative : la plupart des grandes innovations jurisprudentielles sont intervenues à la suite de conclusions célèbres du commissaire du Gouvernement. En outre, compte tenu du fait que les arrêts du Conseil dEtat sont toujours rédigés de manière très elliptique, souvent seule la lecture des conclusions du commissaire du Gouvernement permet, lorsquelles sont publiées, de comprendre la ratio decidendi des arrêts rendus.
42. Aux termes du décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 relatif à lorganisation et au fonctionnement du Conseil dEtat, les commissaires du Gouvernement sont pris parmi les maîtres des requêtes et auditeurs au Conseil dEtat ou, exceptionnellement, parmi les conseillers. En vertu de larticle R 122-5 du code de la justice administrative, ils sont nommés par décret du premier ministre, pris sur proposition du Garde des Sceaux, après présentation par le Vice-président du Conseil dEtat délibérant avec les présidents de section. En pratique, les propositions du Conseil dEtat sont toujours entérinées. La nomination à la fonction de commissaire du Gouvernement, qui nest pas un grade, se fait sans limitation de durée mais un commissaire du Gouvernement ne peut rester en fonctions plus de dix ans et, en pratique, il ne le reste guère plus de deux ou trois ans. Il existe deux commissaires du Gouvernement pour chacune des dix sous-sections formant la section du contentieux mais il ny a pas de hiérarchie entre les commissaires du gouvernement, et ceux-ci ne constituent pas un « corps ».
43. Membre du Conseil dEtat et attaché à la sous-section qui est à la base de la formation de jugement appelée à donner une solution à laffaire, il assiste, sans voter et généralement en silence, à la séance dinstruction où les affaires sont présentées par les rapporteurs, et reçoit copie du projet darrêt adopté par la sous-section et révisé par le réviseur. Lorsque sa position sur un dossier est différente de celle de la sous-section, il peut venir en discuter avec celle-ci lors dune autre séance dinstruction. Si le désaccord persiste et sil estime que laffaire est suffisamment importante, il dispose de la faculté (rarement utilisée en pratique) de demander le renvoi de laffaire soit à la Section du contentieux, soit à lAssemblée (article 39 du décret du 30 juillet 1963 relatif à lorganisation et au fonctionnement du Conseil dEtat). Ce nest quaprès quil préparera ses conclusions en vue de la séance publique de jugement. Ces conclusions, généralement exclusivement orales, ne sont communiquées ni aux parties, ni au rapporteur ni aux membres de la formation de jugement.
44. La pratique sest instaurée de la communication aux avocats qui en font la demande, préalablement à laudience, du sens général des conclusions que le commissaire du Gouvernement développera oralement à laudience. Compte tenu du nombre daffaires à juger (environ 500 par an pour chaque commissaire du Gouvernement), les conclusions du commissaire du Gouvernement, qui demeurent sa propriété exclusive, sont en effet souvent uniquement orales. Il est totalement libre de verser ou non celles quil a décidé de rédiger par écrit aux archives du Conseil dEtat ou de les publier, pour les affaires importantes, en annexe aux arrêts du Conseil dEtat qui font lobjet dune publication dans le recueil officiel ou dans des revues juridiques. 45. A laudience, le commissaire du Gouvernement prononce obligatoirement ses conclusions, qui doivent être motivées, car il ne peut sen remettre à la sagesse de la juridiction. 46. Le rôle du commissaire du Gouvernement lors de laudience a été ainsi décrit par un ancien membre du Conseil dEtat, T. Sauvel, en 1949 :
47. Le commissaire du Gouvernement a pour mission, selon les termes employés par le Conseil dEtat lui-même (10 juillet 1957, Gervaise, Rec. Lebon, p. 466, rappelés par 29 juillet 1998, Esclatine) :
48. A laudience, les parties au litige ne peuvent donc pas prendre la parole après le commissaire du Gouvernement, puisque son intervention se situe après la clôture des débats. Elles ont toutefois, même si elles ne sont pas représentées par un avocat, la possibilité, consacrée par la pratique, de faire parvenir à lorgane de jugement une « note en délibéré » pour compléter leurs observations orales ou répondre aux conclusions du commissaire du Gouvernement. Cette note en délibéré est lue par le rapporteur avant quil ne lise le projet darrêt, et que ne souvre la discussion. 49. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante du Conseil dEtat, si le commissaire du Gouvernement soulevait un moyen même dordre public non discuté par les parties au cours de la procédure, le président de la formation de jugement déciderait de rayer laffaire du rôle, de communiquer ce moyen aux parties pour quelles en débattent et de réinscrire laffaire à une nouvelle audience quelques semaines plus tard, car la communication des moyens relevés doffice est de droit.
50. Après laudience publique, il est dusage que le commissaire du Gouvernement assiste au délibéré, mais il ne vote pas. En règle générale, il nintervient oralement que pour apporter, le cas échéant, des réponses à des questions précises qui lui sont posées. Il est en effet le membre de la juridiction qui a vu le dossier en dernier, et qui est donc censé en avoir la connaissance la plus exacte. 51. Au Conseil dEtat, une affaire peut être jugée soit par une sous-section seule (et dans ce cas tous les membres de la formation de jugement connaissent déjà laffaire), soit par des sous-sections réunies (dans ce cas, quatre membres, représentant la sous-section dinstruction, sur les neuf juges ayant à délibérer, hormis le commissaire du Gouvernement, connaissent le dossier), soit encore par la Section ou lAssemblée, qui sont les formations solennelles pour les affaires importantes, où seuls le président et le rapporteur, sur les 17 ou 12 juges qui auront à délibérer, connaissent le dossier. 52. Il faut enfin signaler quil existe un commissaire du Gouvernement, non seulement devant le Conseil dEtat, mais aussi devant les autres juridictions administratives (tribunaux administratifs et cours administratives dappel) ainsi que devant le Tribunal des conflits. Par ailleurs, linstitution du commissaire du Gouvernement a étroitement inspiré celle de lavocat général devant la Cour de justice des Communautés européennes, à la différence près quen vertu de larticle 27 § 2 du règlement de procédure de la Cour de justice, seuls peuvent prendre part au délibéré les juges ayant siégé à laudience, à lexclusion donc de lavocat général.
53. Dans le cadre de lexamen dun recours préjudiciel porté devant la Cour de justice des Communautés européennes par un tribunal néerlandais (lArrondissementsrechtbank te s-Gravenhage), la société Emesa Sugar (Free Zone) N.V. demanda le 11 juin 1999, en se fondant sur larticle 6 § 1 de la Convention, à déposer des observations écrites à la suite des conclusions présentées par lavocat général lors de laudience du 1er juin précédent. 54. Par ordonnance du 4 février 2000, la Cour de justice rejeta cette demande aux motifs suivants :
EN DROIT i. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LEQUITE DE LA PROCEDURE 55. Mme Kress allègue une violation de larticle 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel
56. Se référant aux arrêts Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, (série A n° 214-B), Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996 (Recueil des arrêts et décisions 1996-I) et Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil 1998-II), la requérante se plaint dabord de ne pas avoir reçu, préalablement à laudience, communication des conclusions du commissaire du Gouvernement et de ne pas avoir pu lui répondre à laudience ni prendre la parole en dernier ; en second lieu, elle sélève contre la présence du commissaire du Gouvernement aux délibérations à huis clos de la formation de jugement, alors que ce dernier avait conclu au rejet de son pourvoi, ce qui heurterait le principe de légalité des armes et jetterait un doute sur limpartialité de la juridiction de jugement. Elle rappelle quà chaque stade de la procédure, devant le tribunal administratif dabord, devant la cour administrative dappel ensuite et enfin, à hauteur de cassation, devant le Conseil dEtat, un commissaire du Gouvernement est intervenu à la fin de chaque audience pour exprimer son point de vue sur laffaire, sans que celui-ci ne soit connu des parties au préalable, et sans quil soit possible dy répliquer. Le fait que le commissaire du Gouvernement ne soit pas partie au procès administratif ne le placerait pas hors du champ du principe du contradictoire qui implique, daprès la requérante, quaucun document ne saurait être régulièrement soumis au juge sans que les parties puissent en prendre préalablement connaissance. Il en va de même, selon la jurisprudence de la Cour, des observations émanant dun tiers intervenant au procès, fût-il un magistrat indépendant. Pour la requérante, le commissaire du Gouvernement ne saurait être assimilé à un membre de la juridiction de jugement car, sil ne participe pas au vote lors du délibéré, son intervention à laudience, après les parties et sans réplique possible de celles-ci, le transforme en allié ou adversaire objectif de lune des parties au procès, puisquil pourra à nouveau, lors du délibéré, défendre son point de vue hors la présence des parties. La requérante estime que lintervention dans la procédure du commissaire du Gouvernement est assimilable à celle de lavocat général devant la Cour de cassation française. Or, dans son arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd précité, la Cour a jugé que le déséquilibre créé entre les parties et lavocat général, du fait de la communication à lavocat général, mais non aux parties, préalablement à laudience, du rapport et du projet darrêt du conseiller rapporteur, ne saccordait pas avec les exigences dun procès équitable. Enfin, la pratique de la note en délibéré ne permet pas à une partie de reprendre lensemble de ses arguments et ne suffit donc pas à assurer le respect du contradictoire. Il ressort dailleurs de la jurisprudence du Conseil dEtat que les notes en délibéré ne font pas partie du dossier.
57. Le Gouvernement soutient tout dabord
que les arrêts qua invoqués la requérante, arrêts qui sont relatifs à une
institution Le Gouvernement observe que, lorsque la Commission a rendu la décision précitée Bazerque c. France, laudience dans laffaire Borgers c. Belgique, au cours de laquelle elle avait invité la Cour à retenir la violation de larticle 6 § 1 de la Convention, avait déjà eu lieu. Il est donc clair que, dans lesprit de la Commission, il ny avait nulle contradiction entre la solution quelle préconisait et qui a été retenue dans laffaire Borgers et celle quau même moment elle adoptait, avec la force dune décision rendue à lunanimité, dans laffaire Bazerque. 58. Les arrêts rendus par la Cour depuis larrêt Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, selon lesquels limpossibilité pour les parties de répondre aux conclusions présentées par le Parquet institué auprès de la Cour de cassation de Belgique et par dautres ministères publics auprès de certaines cours suprêmes enfreint le principe du contradictoire et donc viole larticle 6 de la Convention, concernent des institutions dont la nature est radicalement différente de celle du commissaire du Gouvernement.
59. Le Gouvernement soutient quil existe une différence fondamentale entre le commissaire du Gouvernement et un ministère public du type de celui qui existe auprès des cours de cassation belge ou française : cest que le commissaire est tout simplement un membre de la juridiction, il est lui-même un juge. Dabord, il est bien connu que ce commissaire, malgré sa dénomination trompeuse, nest en rien le représentant du Gouvernement ou de ladministration, partie défenderesse dans le procès devant la juridiction administrative. Il expose son opinion individuelle sur laffaire en toute indépendance et en toute impartialité et donne son avis au vu des arguments échangés par les parties sans être animé daucun a priori favorable à lune ou à lautre. Le Gouvernement admet que cela ne suffit pas à le distinguer du Parquet général le Procureur général et les Avocats généraux auprès de la Cour de cassation, qui est également indépendant et impartial, ce que la Cour européenne na pas considéré comme une raison suffisante de soustraire ses conclusions à la discussion contradictoire des parties. Mais le statut du commissaire du Gouvernement est à cet égard exempt dambiguïté : il nest pas seulement identique à celui des juges, il est celui des juges, puisque le commissaire est lun dentre eux, investi dune fonction particulière dans le déroulement du procès. Cest pourquoi le commissaire est choisi parmi les membres de la juridiction par le Président de celle-ci, ce qui ne se conçoit pas dun ministère public, aussi indépendant soit-il, qui ne saurait tenir sa fonction du président de la juridiction, puisquil existe par construction une séparation organique entre le Parquet et la juridiction elle-même. Le commissaire, quant à lui, faisait partie de la juridiction avant dêtre désigné dans ses fonctions pour les exercer un certain temps ; il continuera den faire partie quand il aura cessé de les exercer et, ce qui est le plus important, il continue à en faire partie pendant tout le temps où il les exerce, tout comme un juge rapporteur, ni plus, ni moins.
60. A la différence dun ministère public, qui représente la société ou lintérêt général ou dont la fonction est dassurer lunité de la jurisprudence, le commissaire du Gouvernement a pour fonction, après que les parties ont terminé dexposer leurs arguments dans le respect du contradictoire, une fois les débats clos, dexprimer son opinion individuelle à ladresse de ses collègues, en les invitant à statuer dans un sens déterminé. En dautres termes, sa fonction ne se distingue pas de celle dun juge rapporteur. Au Conseil dEtat, chaque commissaire du gouvernement fait partie de lune des chambres (quon appelle sous-sections), et il travaille sous lautorité fonctionnelle du président de celle-ci, tout en étant parfaitement libre de son opinion personnelle, comme tous les juges. Une fois terminée la phase écrite de la procédure, lorsque le dossier est complet, les magistrats de la sous-section se réunissent pour procéder à un premier examen de laffaire, au terme duquel ils adoptent un projet darrêt, qui a un caractère purement provisoire. Le commissaire participe à cette séance de travail, à loccasion de laquelle le juge qui a le titre de rapporteur, qui est en fait le premier rapporteur de laffaire le commissaire étant le second , expose son point de vue. Puis, le dossier est transmis au commissaire, pour quil létudie de façon approfondie. Ensuite, laffaire sera inscrite au rôle dune audience publique, à une date que le commissaire choisira lui-même. Lors de cette audience, les parties, si elles sont représentées, pourront sexprimer, par lintermédiaire de leurs avocats. Les plaidoiries terminées, le commissaire prend alors la parole, pour exprimer son opinion individuelle sur laffaire : cest ce quon appelle les conclusions, qui sont prononcées en public, et qui nont pas forcément été rédigées à lavance. Après quoi, en général immédiatement après, a lieu le délibéré, auquel participe le commissaire, comme membre de la juridiction, cest-à-dire de la manière la plus normale qui soit. Il va de soi que si dans ses conclusions le commissaire a soulevé une question nouvelle, sur laquelle les parties nont pas eu loccasion de sexprimer, et que la formation de jugement estime cette question pertinente pour la solution de laffaire, les débats seront rouverts, et laffaire renvoyée à une audience ultérieure. Les parties ont également la possibilité de déposer une note en délibéré. Le Gouvernement estime donc que le commissaire est intimement associé au travail collégial de la juridiction, dont il est un rouage essentiel ; il se situe entièrement à lintérieur de la juridiction et prend place parmi les juges. Ses conclusions sont un document de travail interne à la juridiction, non pas parce quelles ne seraient pas rendues publiques, elles le sont , mais parce quelles émanent dun membre de la juridiction sadressant à ses collègues et qui, selon la formulation de larrêt Esclatine (voir paragraphe 47 ci-dessus) « participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre ». Le Gouvernement rappelle que déminents auteurs ont pu affirmer que le commissaire nest quun « dédoublement fonctionnel du rapporteur », que ses conclusions constituent un « rapport public », et, plus encore, quelles représentent en réalité la première phase du délibéré, qui a la particularité dêtre publique alors que le reste du délibéré est secret. Or, il ressort de larrêt Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996 (Recueil 1996-I, § 33), que le droit au respect du contradictoire ne vise que les « pièces ou observations » présentées au juge par une personne ou un organe extérieur à la juridiction, et non pas celles qui proviennent dun juge et qui sadressent aux autres membres de la collégialité. Plus généralement, la formule de larrêt Vermeulen ne sapplique pas au travail interne de la juridiction, aux actes qui participent au processus même de la décision collégiale. Ainsi, dans larrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (précité, § 105), la Cour a admis que le rapport du conseiller-rapporteur à la Cour de cassation et le projet darrêt établi par lui pouvaient être « légitimement couverts par le secret du délibéré », quils pouvaient donc nêtre pas communiqués aux parties ni discutés par elles. Le fait quun tel rapport soit présenté en public, ce qui constitue un avantage pour les justiciables, ne change rien à la règle.
61. Le Gouvernement rappelle quil est de règle que le commissaire ne prenne pas part au vote qui a lieu au terme du délibéré auquel il a siégé. Pour autant, il ne faut pas en déduire quil nest pas un juge mais quil doit être assimilé à un tiers intervenant, avec les conséquences qui en découlent. Rien ne sopposerait, du point de vue de son statut, et de sa position dans la procédure, à ce que le commissaire prenne part au vote en délibéré, et son abstention est plus formelle et symbolique que réelle. Cette règle trouve son origine dans la conception très exigeante et formaliste du secret du délibéré que retient le droit français, selon laquelle nul ne doit connaître à lextérieur de la juridiction lopinion individuelle dun juge qui a concouru par son vote à la formation de la décision collégiale. Dès lors, labstention du commissaire au moment du vote permet de sauvegarder les apparences et de laisser intact, au moins formellement, le principe du secret du délibéré : puisque le commissaire fait connaître publiquement son opinion, il ne vote pas, et ainsi les principes sont saufs. Il nempêche que le commissaire est bel et bien un membre de la formation de jugement et quil participe de bout en bout à lexamen collégial qui débouche sur la décision. Cest au point, dailleurs, que les arrêts du Conseil dEtat sont souvent interprétés, lorsque leur sens est conforme aux conclusions du commissaire, à la lumière de celles-ci, les conclusions constituant en quelque sorte une motivation complémentaire de larrêt. Et lorsque le sens de larrêt est contraire à celui des conclusions, celles-ci représentent ce que le droit français ignore en théorie, et même bannit, mais quil pratique en fait dans la juridiction administrative, à savoir lopinion dissidente dun juge par rapport à celle de la majorité de ses collègues.
62. Le Gouvernement admet quun juge tel que le commissaire du gouvernement peut paraître, pour des juristes habitués à des systèmes de droit qui ne possèdent pas léquivalent, avoir des traits assez singuliers, peut-être même déconcertants. Mais il estime que le rôle de la Cour nest pas dimposer un modèle juridictionnel unique : il est de veiller au respect des principes essentiels dune justice équitable, tout en respectant les différences entre les systèmes juridiques, pour autant que ces différences soient compatibles avec le respect de ces principes. Or, le commissaire du Gouvernement appartient aux meilleures traditions du droit français, son rôle dans le procès administratif a fait lobjet dinnombrables études plus élogieuses les unes que les autres. Il a forcé le respect et ladmiration de générations de juristes français et étrangers. En premier lieu, si les conditions de la participation à la procédure du commissaire méconnaissaient les droits des parties et le principe fondamental du contradictoire, les avocats au Conseil dEtat, qui représentent les parties devant la plus haute juridiction administrative, seraient les mieux placés pour sen apercevoir et les premiers à sen plaindre. Par ailleurs, lOrdre des Avocats aux Conseils est intervenu dans la présente affaire pour soutenir le système en cause : non seulement lOrdre ne le critique pas, mais il le juge même excellent et en souhaite le maintien. En deuxième lieu, il convient dattacher une certaine importance à la prise de position récente de la Cour de justice des Communautés européennes sur limpossibilité pour les parties de discuter les conclusions présentées par lavocat général devant cette juridiction. En effet, dans une ordonnance du 4 février 2000 (Emesa Sugar) la Cour de justice a donné de la jurisprudence Vermeulen, à laquelle elle sest référée, une interprétation semblable à celle adoptée par le Conseil dEtat français dans sa décision Esclatine déjà citée. Labsence de possibilité pour les parties de répondre à lavocat général ne viole pas les principes du procès équitable, a dit la Cour de justice, car les conclusions de ce magistrat ne constituent pas « un avis (...) qui émanerait dune autorité extérieure à la Cour » comme le Ministère public visé par larrêt Vermeulen mais lopinion individuelle, motivée et exprimée publiquement, dun membre de linstitution elle-même. Dès lors, si, dans la présente affaire, la Cour devait estimer que larticle 6 est méconnu, alors elle condamnerait a fortiori certes implicitement, mais nécessairement le système appliqué à Luxembourg depuis les origines de la Cour de justice comme contraire aux exigences du procès équitable. Or, cette juridiction rend la justice depuis près dun demi-siècle dans le respect et même ladmiration de tous, et donne elle aussi de la justice européenne une haute image, et personne na jamais contesté la qualité de ses procédures. Le Gouvernement conclut donc à la non-violation de larticle 6 § 1 de la Convention.
63. La requérante se plaint, sous langle de larticle 6 § 1 de la Convention, de ne pas avoir bénéficié dun procès équitable devant les juridictions administratives. Ce grief se subdivise en deux branches : la requérante ou son avocat na pas eu connaissance des conclusions du commissaire du gouvernement avant laudience et na pu y répondre après, car le commissaire du Gouvernement parle en dernier ; en outre, le commissaire assiste au délibéré, même sil ne vote pas, ce qui aggraverait la violation du droit à un procès équitable résultant du non-respect du principe de légalité des armes et du droit à une procédure contradictoire.
64. La Cour relève que sur les points évoqués ci-dessus, la requête soulève, mutatis mutandis, des problèmes voisins de ceux examinés par la Cour dans plusieurs affaires concernant le rôle de lavocat général ou du procureur général à la Cour de cassation ou à la cour suprême en Belgique, au Portugal, aux Pays-Bas et en France (voir les arrêts Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A n° 214-B, Vermeulen c. Belgique et Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, et les deux arrêts J. J. et K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II; voir également larrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, ibidem). 65. Dans toutes ces affaires, la Cour a conclu à la violation de larticle 6 § 1 de la Convention à raison de la non-communication préalable soit des conclusions du procureur général ou de lavocat général, soit du rapport du conseiller rapporteur, et de limpossibilité dy répondre. La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt Borgers, qui concernait le rôle de lavocat général devant la Cour de cassation dans une procédure pénale, elle avait conclu au non-respect de larticle 6 § 1 de la Convention, en se fondant surtout sur la participation de lavocat général au délibéré de la Cour de cassation, qui avait emporté violation du principe de légalité des armes (voir paragraphe 28 de larrêt). Ultérieurement, la circonstance aggravante de la participation aux délibérés du procureur ou de lavocat général na été retenue que dans les affaires Vermeulen et Lobo Machado, où elle avait été soulevée par les requérants (arrêts précités, respectivement §§ 34 et 32) ; dans tous les autres cas, la Cour a mis laccent sur la nécessité de respecter le droit à une procédure contradictoire, en relevant que celui-ci impliquait le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, et de la discuter. Enfin, la Cour rappelle que les affaires Borgers c. Belgique, J.J. c. Pays-Bas et Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France concernaient des procédures pénales ou à connotation pénale. Les affaires Vermeulen c. Belgique, Lobo Machado c. Portugal et K.D.B c. Pays-Bas avaient trait à des procédures civiles ou à connotation civile tandis que laffaire Van Orshoven c. Belgique concernait une procédure disciplinaire contre un médecin.
66. Aucune de ces affaires ne concernait un litige porté devant les juridictions administratives et la Cour doit donc examiner si les principes dégagés dans sa jurisprudence, telle que rappelée ci-dessus, trouvent à sappliquer en lespèce. 67. Elle observe que, depuis larrêt Borgers de 1991, tous les gouvernements se sont attachés à démontrer devant la Cour que, dans leur système juridique, leurs avocats généraux ou procureurs généraux étaient différents du procureur général belge, tant du point de vue organique que fonctionnel. Ainsi, leur rôle serait différent selon la nature du contentieux (pénal ou civil, voire disciplinaire), ils ne seraient pas partie à la procédure ni ladversaire de quiconque, leur indépendance serait garantie et leur rôle se limiterait à celui dun amicus curiae agissant dans lintérêt général ou pour assurer lunité de la jurisprudence. 68. Le Gouvernement français ne fait pas exception : il soutient, lui aussi, que linstitution du commissaire du Gouvernement au sein du contentieux administratif français diffère des autres institutions critiquées dans les arrêts précités, parce quil nexiste aucune distinction entre siège et parquet au sein des juridictions administratives, que le commissaire du Gouvernement, du point de vue statutaire, est un juge au même titre que tous les autres membres du Conseil dEtat et que, du point de vue fonctionnel, il est exactement dans la même situation que le juge rapporteur, sauf quil sexprime publiquement mais ne vote pas. 69. La Cour admet que, par rapport aux juridictions de lordre judiciaire, la juridiction administrative française présente un certain nombre de spécificités, qui sexpliquent par des raisons historiques. Certes, la création et lexistence même de la juridiction administrative peuvent être saluées comme lune des conquêtes les plus éminentes dun Etat de droit, notamment parce que la compétence de cette juridiction pour juger les actes de ladministration na pas été acceptée sans heurts. Encore aujourdhui, les modalités de recrutement du juge administratif, son statut particulier, différent de celui de la magistrature judiciaire, tout comme les spécificités du fonctionnement de la justice administrative (paragraphes 33-52 ci-dessus) témoignent de la difficulté quéprouva le pouvoir exécutif pour accepter que ses actes soient soumis à un contrôle juridictionnel. Pour ce qui est du commissaire du Gouvernement, la Cour en convient également, il nest pas contesté que son rôle nest nullement celui dun ministère public ni quil présente un caractère sui generis propre au système du contentieux administratif français. 70. Toutefois, la seule circonstance que la juridiction administrative, et le commissaire du Gouvernement en particulier, existent depuis plus dun siècle et fonctionnent, selon le Gouvernement, à la satisfaction de tous, ne saurait justifier un manquement aux règles actuelles du droit européen (voir arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A n° 11, § 36). La Cour rappelle à cet égard que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques (voir, notamment, larrêt Burghartz c. Suisse du 22 février 1994, série A n° 280-B, § 28). 71. Nul na jamais mis en doute lindépendance ni limpartialité du commissaire du Gouvernement, et la Cour estime quau regard de la Convention, son existence et son statut organique ne sont pas en cause. Toutefois la Cour considère que lindépendance du commissaire du Gouvernement et le fait quil nest soumis à aucune hiérarchie, ce qui nest pas contesté, ne sont pas en soi suffisants pour affirmer que la non-communication de ses conclusions aux parties et limpossibilité pour celles-ci dy répliquer ne seraient pas susceptibles de porter atteinte aux exigences dun procès équitable. En effet, il convient dattacher une grande importance au rôle réellement assumé dans la procédure par le commissaire du Gouvernement et plus particulièrement au contenu et aux effets de ses conclusions (voir, par analogie et parmi beaucoup dautres, larrêt Van Orshoven précité, § 39).
72. La Cour rappelle que le principe de légalité des armes lun des éléments de la notion plus large de procès équitable requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi beaucoup dautres, larrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, § 23). 73. Or, indépendamment du fait que, dans la majorité des cas, les conclusions du commissaire du Gouvernement ne font pas lobjet dun document écrit, la Cour relève quil ressort clairement de la description du déroulement de la procédure devant le Conseil dEtat (paragraphes 40 à 52 ci-dessus) que le commissaire du Gouvernement présente ses conclusions pour la première fois oralement à laudience publique de jugement de laffaire et que tant les parties à linstance que les juges et le public en découvrent le sens et le contenu à cette occasion. La requérante ne saurait tirer du droit à légalité des armes reconnu par larticle 6 § 1 de la Convention le droit de se voir communiquer, préalablement à laudience, des conclusions qui ne lont pas été à lautre partie à linstance, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (voir larrêt Nideröst-Huber précité, § 23). Aucun manquement à légalité des armes ne se trouve donc établi. 74. Toutefois, la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue dinfluencer sa décision, et de la discuter (voir les arrêts précités Vermeulen c. Belgique, § 33, Lobo Machado c. Portugal, § 31, Van Orshoven c. Belgique, § 41, K.D.B. c. Pays-Bas, § 44 et Nideröst-Huber c. Suisse, § 24). 75. Pour ce qui est de limpossibilité pour les parties de répondre aux conclusions du commissaire du Gouvernement à lissue de laudience de jugement, la Cour se réfère à larrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd du 31 mars 1998 (précité). Dans cette affaire, elle avait constaté une violation de larticle 6 § 1 du fait que le rapport du conseiller rapporteur, qui avait été communiqué à lavocat général, ne lavait pas été aux parties (voir paragraphe 105 de larrêt). En revanche, sagissant des conclusions de lavocat général, la Cour sest exprimée comme suit au paragraphe 106 de son arrêt :
76. Or, à la différence de laffaire Reinhardt et Slimane-Kaïd, il nest pas contesté que dans la procédure devant le Conseil dEtat, les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire du Gouvernement, avant laudience, le sens général de ses conclusions. Il nest pas davantage contesté que les parties peuvent répliquer, par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du Gouvernement, ce qui permet, et cest essentiel aux yeux de la Cour, de contribuer au respect du principe du contradictoire. Cest dailleurs ce que fit lavocat de la requérante en lespèce (paragraphe 26 ci-dessus). Enfin, au cas où le commissaire du Gouvernement invoquerait oralement lors de laudience un moyen non soulevé par les parties, le président de la formation de jugement ajournerait laffaire pour permettre aux parties den débattre (paragraphe 49 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que la procédure suivie devant le Conseil dEtat offre suffisamment de garanties au justiciable et quaucun problème ne se pose sous langle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du contradictoire. Partant, il ny a pas eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention à cet égard.
77. Sur ce point, la Cour constate que lapproche soutenue par le Gouvernement consiste à dire que, puisque le commissaire du Gouvernement est un membre à part entière de la formation de jugement, au sein de laquelle il officie en quelque sorte comme un deuxième rapporteur, rien ne devrait sopposer à ce quil assiste au délibéré, ni même quil vote. 78. Le fait quun membre de la formation de jugement ait exprimé en public son point de vue sur laffaire pourrait alors être considéré comme participant à la transparence du processus décisionnel. Cette transparence est susceptible de contribuer à une meilleure acceptation de la décision par les justiciables et le public, dans la mesure où les conclusions du commissaire du Gouvernement, si elles sont suivies par la formation de jugement, constituent une sorte dexplication de texte de larrêt. Dans le cas contraire, lorsque les conclusions du commissaire du Gouvernement ne se reflètent pas dans la solution adoptée par larrêt, elles constituent une sorte dopinion dissidente qui nourrira la réflexion des plaideurs futurs et de la doctrine. La présentation publique de lopinion dun juge ne porterait en outre pas atteinte au devoir dimpartialité, dans la mesure où le commissaire du Gouvernement, au moment du délibéré, nest quun juge parmi dautres et que sa voix ne saurait peser sur la décision des autres juges au sein desquels il se trouve en minorité, quelle que soit la formation dans laquelle laffaire est examinée (sous-section, sous-sections réunies, Section ou Assemblée). Il est dailleurs à noter que, dans la présente affaire, la requérante ne met nullement en cause limpartialité subjective ou lindépendance du commissaire du Gouvernement. 79. Toutefois, la Cour observe que cette approche ne coïncide pas avec le fait que, si le commissaire du Gouvernement assiste au délibéré, il na pas le droit de voter. La Cour estime quen lui interdisant de voter, au nom de la règle du secret du délibéré, le droit interne affaiblit sensiblement la thèse du Gouvernement, selon laquelle le commissaire du Gouvernement est un véritable juge, car un juge ne saurait, sauf à se déporter, sabstenir de voter. Par ailleurs, il serait difficile dadmettre quune partie des juges puisse exprimer publiquement leur opinion et lautre seulement dans le secret du délibéré. 80. En outre, en examinant ci-dessus le grief de la requérante concernant la non-communication préalable des conclusions du commissaire du Gouvernement et limpossibilité de lui répliquer, la Cour a accepté que le rôle joué par le commissaire pendant la procédure administrative requiert lapplication de garanties procédurales en vue dassurer le respect du principe du contradictoire (paragraphe 76 ci-dessus). La raison qui a amené la Cour à conclure à la non-violation de larticle 6 § 1 sur ce point nétait pas la neutralité du commissaire du Gouvernement vis-à-vis des parties mais le fait que la requérante jouissait de garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer son pouvoir. La Cour estime que ce constat entre également en ligne de compte pour ce qui est du grief concernant la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré. 81. Enfin, la théorie des apparences doit aussi entrer en jeu : en sexprimant publiquement sur le rejet ou lacceptation des moyens présentés par lune des parties, le commissaire du Gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour lune dentre elles. Pour la Cour, un justiciable non rompu aux arcanes de la justice administrative peut assez naturellement avoir tendance à considérer comme un adversaire un commissaire du Gouvernement qui se prononce pour le rejet de son pourvoi. A linverse, il est vrai, un justiciable qui verrait sa thèse appuyée par le commissaire le percevrait comme son allié. La Cour conçoit en outre quun plaideur puisse éprouver un sentiment dinégalité si, après avoir entendu les conclusions du commissaire dans un sens défavorable à sa thèse à lissue de laudience publique, il le voit se retirer avec les juges de la formation de jugement afin dassister au délibéré dans le secret de la chambre du conseil (voir, mutatis mutandis, larrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A n° 11, p. 17, § 30). 82. Depuis larrêt Delcourt, la Cour a relevé à de nombreuses reprises que, si lindépendance et limpartialité de lavocat général ou du procureur général auprès de certaines cours suprêmes nencouraient aucune critique, la sensibilité accrue du public aux garanties dune bonne justice justifiait limportance croissante attribuée aux apparences (voir larrêt Borgers précité, § 24). Cest pourquoi la Cour a considéré que, indépendamment de lobjectivité reconnue de lavocat général ou du procureur général, celui-ci, en recommandant ladmission ou le rejet dun pourvoi, devenait lallié ou ladversaire objectif de lune des parties et que sa présence au délibéré lui offrait, fût-ce en apparence, une occasion supplémentaire dappuyer ses conclusions en chambre du conseil, à labri de la contradiction (voir les arrêts Borgers, Vermeulen et Lobo Machado précités, respectivement §§ 26, 34 et 32). 83. La Cour ne voit aucune raison de sécarter de la jurisprudence constante rappelée ci-dessus, même sagissant du commissaire du Gouvernement, dont lopinion nemprunte cependant pas son autorité à celle dun ministère public (voir, mutatis mutandis, arrêts J.J. et K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, respectivement §§ 42 et 43). 84. La Cour observe en outre quil na pas été soutenu, comme dans les affaires Vermeulen et Lobo Machado, que la présence du commissaire du Gouvernement simposait pour contribuer à lunité de la jurisprudence ou pour aider à la rédaction finale de larrêt (voir, mutatis mutandis, arrêt Borgers précité, § 28). Il ressort des explications du Gouvernement que la présence du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait quayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur laffaire. 85. De lavis de la Cour, lavantage pour la formation de jugement de cette assistance purement technique est à mettre en balance avec lintérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa présence, exercer une certaine influence sur lissue du délibéré. Tel nest pas le cas dans le système français actuel. 86. La Cour se trouve confortée dans cette approche par le fait quà la Cour de justice des Communautés européennes, lavocat général, dont linstitution sest étroitement inspirée de celle du commissaire du Gouvernement, nassiste pas aux délibérés, en vertu de larticle 27 du règlement de la CJCE. 87. En conclusion, il y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention, du fait de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement.
88. La requérante se plaint de la durée de la procédure en responsabilité médicale qui sest déroulée devant les juridictions administratives. Elle allègue une violation de larticle 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
89. Selon le Gouvernement, cette affaire ne se prêtait pas à un règlement rapide. Il admet cependant que les juridictions de première instance et de cassation nont sans doute pas pu faire preuve de toute la diligence souhaitable et déclare sen remettre à la sagesse de la Cour.
90. La période à prendre en considération débute le 22 juin 1987, avec le rejet de la demande préalable dindemnisation adressée aux Hospices Civils de Strasbourg (cf. arrêt X c. France du 31 mars 1992, série A n° 234-C, § 31). Elle sest achevée le 30 juillet 1997, avec le prononcé de larrêt du Conseil dEtat. Elle a donc duré dix ans, un mois et huit jours.
91. Dans cette affaire qui, de lavis de la Cour, ne présentait pas de complexité particulière, le tribunal administratif a statué le 5 septembre 1991 ; sur appel de la requérante, la cour administrative dappel de Nancy a statué le 8 avril 1993 ; enfin, le Conseil dEtat, juge de cassation, a rendu son arrêt le 30 juillet 1997. La Cour estime que, tant en première instance quen cassation, la procédure a connu des retards importants. Lexamen du pourvoi en cassation de la requérante par le Conseil dEtat en particulier a nécessité quatre ans et un peu plus dun mois. 92. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à lexigence du « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention.
93. Aux termes de larticle 41 de la Convention,
94. La requérante réclame au titre du dommage moral un montant de 200 000 francs français (FRF), en raison, dune part, de lanxiété importante subie du fait de la durée excessive de la procédure et, dautre part, de la frustration ressentie du fait de limpossibilité de répliquer aux conclusions défavorables du commissaire du Gouvernement. 95. Le Gouvernement ne se prononce pas. 96. Pour ce qui est du grief de la requérante relatif à léquité de la procédure devant le Conseil dEtat, la Cour estime, conformément à sa jurisprudence (arrêt Vermeulen c. Belgique précité, § 37), que le dommage moral dont fait état lintéressée se trouve suffisamment compensé par le constat de violation figurant au paragraphe 85 ci-dessus. En revanche, la requérante a sans conteste subi un dommage moral du fait de la durée excessive de la procédure. Statuant en équité, comme le veut larticle 41 de la Convention, la Cour lui alloue 80 000 FRF à ce titre.
97. La requérante sollicite tout dabord le remboursement dune partie de la somme de 72 625 FRF quelle a exposée pour sa défense devant les juridictions françaises, frais qui sont partiellement en relation avec les violations alléguées (nécessité dinterjeter appel et de se pourvoir en cassation). 98. Le Gouvernement ne se prononce pas. 99. Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux quil a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment larrêt Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 63). En lespèce, la Cour constate que la requérante na pas exposé de tels frais et dépens pendant la procédure litigieuse. Elle observe, en particulier, que la requérante na critiqué à aucun moment devant les trois instances saisies de son affaire le rôle du commissaire du Gouvernement. Partant, il y a lieu décarter la demande sur ce point. 100. Par ailleurs, la requérante sollicite une indemnité de 20 000 FRF au titre des frais et dépens exposés pour sa défense devant les organes de la Convention. 101. Le Gouvernement ne se prononce pas. 102. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, larrêt Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, § 30). En lespèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 20 000 FRF pour la procédure devant elle et laccorde à la requérante.
103. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux dintérêt légal applicable en France à la date dadoption du présent arrêt était de 4,26 % lan. par ces motifs, la cour 1. Dit, à lunanimité, que larticle 6 § 1 de la Convention na pas été violé en ce qui concerne le grief de la requérante selon lequel elle na pas reçu préalablement à laudience les conclusions du commissaire du Gouvernement et na pu lui répliquer à lissue de celle-ci ; 2. Dit, par dix voix contre sept, quil y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention en raison de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré ; 3. Dit, à lunanimité, quil y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention du fait de la durée excessive de la procédure ; 4. Dit, à lunanimité, a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes :
b) que ces montants seront à majorer dun intérêt simple de 4,26 % lan à compter de lexpiration dudit délai et jusquau versement ; 5. Rejette, à lunanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. |
|