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Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 14 octobre 1947 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :
Considérant que la décision du Conseil d'Etat, en date du
28 février 1947, annulant les arrêtés du ministre de la justice des 7 avril et 14 mai
1945 qui avaient prononcé la mise à la retraite d'office du sieur Véron-Réville, alors
juge au tribunal de première instance de Bordeaux, comportait nécessairement
l'obligation pour l'administration de le réintégrer dans ce même emploi à la date où
il en avait été illégalement privé; qu'à défaut de poste
vacant audit tribunal lors de la réintégration du sieur Véron-Réville, il incombait à
l'autorité compétente de provoquer cette vacance en rapportant le décret qui avait
désigné le successeur du requérant; qu'une telle mesure, affectant un magistrat
irrégulièrement nommé à un poste qui devait être regardé comme n'ayant jamais été
vacant, et destinée à permettre la réintégration du véritable titulaire, loin de
porter atteinte à l'inamovibilité des magistrats du siège, garantie par la
Constitution, ne peut avoir d'autre effet que de tirer de cette règle essentielle les
conséquences qu'elle implique nécessairement en garantissant au seul magistrat
régulièrement investi la possession du siège qui lui avait été attribué; qu'il suit
de là que le sieur Véron-Réville est fondé à soutenir que le décret du 14 octobre
1947 qui l'a nommé juge au tribunal de première instance de Limoges est entaché
d'illégalité;
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
Sur la recevabilité :
Considérant qu'il est constant que le sieur Véron-Réville
a adressé, le 27 décembre 1947, une demande d'indemnité au ministre de l'Intérieur;
que si ledit ministre était incompétent pour en connaître, il lui incombait de la
transmettre au ministre de la justice, pour y être statué par ce dernier; que dès lors,
et quelle que soit la date à laquelle cette transmission a eu lieu le sieur
Véron-Réville est recevable à se pourvoir devant le conseil d'Etat contre la décision
implicite de rejet résultant du silence gardé par l'autorité compétente sur la
réclamation dont s'agit;
Au fond :
Considérant qu'en exécution de la décision susmentionnée
du Conseil d'Etat, il appartenait à l'autorité compétente, après avoir reconstitué la
carrière du requérant depuis son éviction injustifiée jusqu'à sa mise à la retraite
définitive, d'évaluer les indemnités auxquelles il pouvait prétendre tant du fait de
la privation de tout ou partie de ses émoluments pendant cette période qu'en raison, le
cas échéant, de toutes autres circonstances ayant pu aggraver à son préjudice les
conséquences de l'éviction et consistant notamment dans l'atteinte portée à sa
réputation par les arrêtés reconnus illégaux par le Conseil d'Etat, le retard abusif
que l'administration a porté au règlement qu'impliquait l'exécution des précédentes
décisions du Conseil d'Etat d'Etat, et les troubles dont il a souffert; que dès lors, le
sieur Véron-Réville est fondé à demander l'annulation de la décision implicite
attaquée en tant que celle-ci a dénié tout droit à indemnité;
Considérant que l'état du dossier ne permet pas au Conseil
d'Etat d'évaluer le montant des sommes qui peuvent être dues au sieur Véron-Réville à
ces divers titres; qu'il y a lieu de le renvoyer devant le ministre de la Justice pour
liquidation de l'indemnité à laquelle il a droit;
Sur les intérêts :
Considérant que dans sa requête n°96949 le sieur
Véron-Réville a demandé l'allocation des intérêts à compter "du dépôt du
recours"; qu'il échet de faire droit à ces conclusions;... (annulation du décret
et de la décision implicite attaqués; renvoi du requérant devant le ministre de la
Justice pour être procédé, sur les bases susindiquées, à la liquidation de
l'indemnité à laquelle il a droit et qui portera intérêt au taux légal à compter du
26 mai 1948; dépens de l'affaire n°96949 à la charge de l'Etat)
(...). (annulation) |