Responsabilité pénale du chef de l'Etat ?

(Ce débat est clos, au moins provisoirement, par le vote de la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution ayant modifié les articles 67 et 68 de la Constitution, MAJ 24/02/2007)

(texte antérieur à la révision constitutionnelle du 23/02/2007)
L'article 68 de la Constitution affirme :
"Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice."

Le Conseil constitutionnel, présidé alors par Roland Dumas, a par sa décision  du 22 janvier 1999 relative à la ratification du traité instituant la Cour pénale internationale, donné son interprétation de l'article 68 de la Constitution. Cette décision qui a conduit à une révision constitutionnelle afin de permettre la ratification du traité instituant cette juridiction internationale (ajout de l'art. 53-2) a  précisé que "la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être engagée pendant la durée de ses fonctions que devant la Haute Cour de justice". Or, aux termes de l'art. 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

En conséquence de cette décision, les juges saisis de divers dossiers se sont déclarés incompétents à propos de  délits ayant pu être commis par Jacques Chirac, président de la République, avant son entrée en fonctions (emplois fictifs, malversations financières dénoncées notamment par la cassette audiovisuelle de M. Méry).

Mais l'appréciation du Conseil constitutionnel a provoqué une controverse parmi les juristes quant à sa portée  :  pour les uns, le président de la République bénéficie d'une immunité pénale hors cas de haute trahison; pour les autres, il bénéficie seulement d'une immunité de juridiction, celle d'être jugé par la Haute cour de justice.

L'assemblée pleinière de la Cour de Cassation a, en dernier ressort, tranché la question dans le sens de l'immunité pénale. L'arrêt du 10 octobre 2001 énonce dans ses motifs "la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue". Suite à cet arrêt, la procédure de saisine de la Haute Cour de justice engagée à l'initiative d'un député de la majorité, M. Montebourg,  condamnée à l'échec, a été abandonnée.

Le président de la République doit-il bénéficier d'une immunité pénale hors cas de haute trahison ? Les ministres ne bénéficient pas d'immunités quant aux faits commis avant leur entrée en fonction. Pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, ils sont justiciables de la Cour de Justice de la République depuis la révision constitutionnelle de juillet 1993 qui a inséré deux nouveaux articles (68-1 et 68-2) et fixé les conditions de la mise en cause de leur responsabilité pénale.

Quant aux députés et aux sénateurs, aux termes de la loi constitutionnelle du 4 août 1995 ayant modifié l'art. 26 de la Constitution, l'inviolabilité des parlementaires ne s'oppose plus à l'engagement des poursuites même pendant la durée des sessions. Une forme d'immunité ne subsiste que pour les mesures privatives de liberté, telles que la garde à vue, l'arrestation ou la détention, ou simplement restrictives de liberté, comme certaines mesures de contrôle judiciaire. Lorsqu'elle envisage la mise en œuvre de telles mesures, l'autorité judiciaire doit solliciter l'autorisation du Bureau de l'assemblée concernée, sauf en cas de délit ou de crime flagrant ou de condamnation définitive.

Cette situation, la proche échéance politique, et aussi l'évolution des mentalités - notamment après l'image non catastrophique de M. Clinton, président des Etats-Unis, faisant face à ses juges - contribuent à expliquer qu'au mois de juin 2001, une proposition de loi constitutionnelle a été   déposée par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale en vue de modifier le régime de la responsabilité du président de la République à l'issue du mandat ayant débuté en 1995. La teneur de l'art. 68 de la constitution serait modifiée. Si le président resterait justiciable de la Haute cour de justice pour les faits de haute trahison, des poursuites pourraient aussi être engagées contre lui sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Cette commission serait également compétente pour autoriser son arrestation ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté, sauf  en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La question de la responsabilité pénale du président de la République pour les faits commis avant ou pendant son mandat mérite assurément d'être posée. La proposition de loi constitutionnelle est en cours d'examen devant le Sénat. Si elle était finalement adoptée, et ce après la réduction du mandat du président de la République à 5 ans, les institutions s'éloigneraient davantage encore des conceptions des fondateurs de la Vème République.


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